Güle güle Türkiye !

Au jour le jour

Güle güle Türkiye !

Après un mois et demi à traverser la Turquie d’ouest en est, nous voilà à quelques kilomètres de la frontière iranienne, prêts à quitter le pays. On s’apprête à ne plus rien comprendre à la langue (ni orale et ni même écrite d’ailleurs), réapprendre de nouveaux repères, découvrir une nouvelle culture… que de beaux moments en perspective ! 🙂

Avant ça, je vais vous raconter nos derniers jours en Turquie ainsi que partager avec vous quelques impressions.

A Van, nous passons au pied de l’imposante forteresse qui surplombe le lac.

Quelques kilomètres plus loin, nous retrouvons Ayhan et Gizem, couple de warmshowers fraîchement mariés chez qui on a passé 2 jours. On passe un super moment ! Malgré la barrière de la langue (ils parlent peu anglais, merci google traduction 😉 ), on se sent très vite hyper à l’aise avec eux et leurs amis. C’est chouette de passer de bons moments avec des personnes dont on se sent proches ! 🙂 (message aux amis et à la famille : vous nous manquez !)

 

Le dimanche, on part à vélo avec Ayhan et un de ses amis direction l’île d’Akdamar. On part léger, sans les sacoches. Waouh, le vélo avance tout seul ! A la fin de la journée, on aura réussi à fatiguer Ayhan sur son vélo de course (bon, ok il aura fait 100km et nous 70km), on est fiers de nous ! 😉

Sur le chemin, on s’arrête à un magnifique cimetière seljoukide.

Pendant qu’Ayhan retrouve ses amis, on visite la magnifique église arménienne sur l’île d’Akdamar.

On rejoint ensuite le groupe pour un barbecue suivi d’une séance baignade. Évidemment, je fais partie des motivés pour aller piquer une tête dans le lac. Il est bon de préciser à ce moment du récit que je suis la seule femme du groupe. Ayhan me montre un message via google translate, ça parle de short de bain, pas de soucis lui dis-je en lui montrant mon maillot de bain, “j’ai bien prévu !”. Il insiste, a l’air gêné, je finis par comprendre : je ne peux pas me mettre en maillot de bain, il faut que je porte un short… Il est vraiment désolé, il me prête un de ses shorts de bain (il en a amené plein !).

Là où on est, l’eau n’est pas propre, on prend donc la voiture pour aller quelques centaines de mètres plus loin. La situation se corse, il faut trouver un endroit accessible ET où il n’y a pas trop de monde. Ils ne nous le disent pas mais on comprend clairement que c’est à cause de ma présence : même avec un short, une femme qui se baigne ne va pas de soi (on n’en verra aucune autre). Je propose d’abandonner le bain pour moi mais ils insistent, on finit par trouver une petite crique où je me baigne avec short et t-shirt à l’abri des regards.

Gizem et son amie nous avaient dit qu’elles ne se baignaient pas, on avait compris qu’elles ne savaient probablement pas nager. Je réalise en fait que nager pour une femme ne va clairement pas de soi s’il est si difficile de se baigner… Je suis en colère.

Sur le chemin du retour, on voit un groupe de jeunes (hommes évidemment) en train de se rhabiller en revenant de la plage. L’un d’entre eux ne prend même pas la peine de bien se cacher derrière sa serviette et on le voit cul nu sur le bord de la route. Évidemment, ça ne choque pas, alors qu’une femme en short et t-shirt, c’était déjà trop…

En France, le sexisme m’exaspère chaque jour mais il est souvent plus pernicieux, plus caché… Alors que là, il n’y a aucun complexe : tu es une femme ? évidemment il y a plein de choses que tu ne peux pas faire ! Je hais vraiment ces hommes qui se permettent de priver la moitié de l’humanité de liberté…

Je sais que je ne suis pas au bout de mes peines, demain, j’enfile le voile et une chemise XXL achetée pour l’occasion (mes t-shirts manches longues ne me couvrent pas les fesses) et vais dans un pays où les femmes n’ont pas le droit de faire du vélo (pas d’inquiétude pour moi, en tant que touriste, ça passe) et la liste des interdits est longue…

Sur le sujet des femmes, la Turquie est un pays très contrasté, à un point qui en est très surprenant… Sur la côte, il était normal de croiser des femmes au look totalement occidental. A Diyarbakir, on a vu des femmes aux cheveux courts, une jeune femme assise seule sur un banc dans un parc le soir, deux femmes à la terrasse d’un café où il n’y a habituellement que des hommes… On aura aussi vu des femmes voilées jusqu’au raz des yeux, des jeunes filles déjà voilées…

Sur un sujet proche, on nous demande souvent avec Claude si on est mariés. On répond qu’on l’est sans se lancer dans de longues explications sur ce qu’est un PACS en France. 😉 La question qui suit est “mais il est (ils sont) où le(s) bébé(s) ?” On répond qu’il y en n’a pas. Notre interlocuteur est désolé, triste voire même gêné pour nous. Il nous demande alors “c’était quand le mariage ? – oh, il y a un an – aaah, yeni, yeni” c’est-à-dire, c’est nouveau, l’espoir est sauf, ça devrait bientôt arriver ! Parfois, Claude reçoit un petit signe qui veut dire “allez, au boulot”, charmant… Évidemment, on ne mentionne pas le fait qu’on est et vit ensemble depuis bien plus longtemps !

 

Ces dernières semaines, nous avons donc traversé le Kurdistan, ou, selon le langage officiel, le “Sud-Est de la Turquie”. Reconnaitre le nom Kurdistan reviendrait à reconnaître qu’il existe des kurdes, ce qui est évidemment impensable. Si vous voulez en savoir plus sur la situation, je vous recommande (encore) l’excellente série du magazine les jours. Je vais vous livrer ici quelques observations que nous avons faites en tant que voyageurs à vélo.

Plusieurs fois, des personnes nous ont fait part de l’oppression que fait l’objet des kurdes par le pouvoir actuel : absence de démocratie, présence policière importante à certains endroits, langue kurde interdite à l’école et culture qui se perd… Par exemple, la ville de Diyarbakir a été mise sous tutelle par Ankara alors qu’elle était dirigée par deux maires HDP. Le HDP est le parti de gauche pro-kurde (dont les élus fonctionnent toujours en binômes h/f), aujourd’hui accusé d’être complice du PKK, il est souvent traité de terroriste et la plupart de ses cadres sont en prison. C’est ainsi que le candidat à la présidentielle du HDP a fait campagne… depuis la prison ! Ce genre d’oppression ne se limite pas à la communauté kurde. Nous avons par exemple rencontré des alevis, minorité qui pratique un islam très libéral (femme égale de l’homme, ne prient pas à la mosquée, ne font pas le ramadan…). Ils sont accusés de ne pas pratiquer un islam “pur” et sont eux aussi opprimés. Certains d’entre eux font par exemple semblant de faire le ramadan en public et ne parlent jamais du fait qu’ils sont alevis…

Pendant notre traversée du Kurdistan, nous avons rencontré des personnes clairement politisées à gauche (Che Gevara tagué sur les murs en signe de révolution, concert de klaxons à Diyarbakir quand le camion du HDP passe, signe de paix/révolution fait par les jeunes…) comme des kurdes beaucoup plus conservateurs qui nous disaient fièrement soutenir leur cher président. Une fois de plus, la situation est très contrastée.

 

Dimanche dernier, se déroulaient les élections législatives et présidentielles. Je ne sais pas si c’est à l’approche des élections où parce que l’on était au “sud-est” de la Turquie mais  les partis politiques étaient beaucoup plus présents : banderoles dans les villes, camions des partis qui passent  avec sonos à fond… Clairement, pour imaginer, il faut oublier toutes les règles d’équité entre les candidats qui existent en France. Et ce, à tel point qu’à J-9 des élections, les temps de parole sur les télés d’état se répartissaient de la sorte : #Erdogan et alliance peuple : 67h58′ #Ince et CHP: 6h43′ #Aksener et IYI: 0’12’ #Demirtas et HDP: 0 #nocomment

Avec notre carte sim turque, on a même reçu des textos qui nous encourageaient à voter Erdogan !

Pour faire court, on a été ultra déçus des résultats puisqu’Erdogan a été élu dès le 1er tour (il y a encore pour cette élection des soupçons de fraude). Les points positifs sont que la victoire a été courte malgré une presse complètement acquise au pouvoir actuel, et que le HDP a réussi à franchir la barre des 10% pour les législatives au national (s’ils ne l’avaient pas, ils ne pouvaient pas siéger à l’assemblée, les régions qui avaient voté HDP auraient alors “élu” comme députés le 2nd candidat, c’est-à-dire souvent le candidat AKP).

Ci-dessous, la carte des résultats des élections présidentielles. En orange, les provinces où Erdogan est arrivé en tête, en rouge Ince (CHP, parti de centre gauche) et en violet Demirtas (HDP, parti de gauche pro-kurde). Il est facile de voir les différentes Turquie. Une telle polarité questionne sur la stabilité d’une telle société…

La très mauvaise nouvelle de ces élections est que le régime devrait continuer à se durcir et ce, d’autant plus avec la mise en application du dernier référendum. On finit donc notre séjour turc tristes et solidaires de tou.te.s les ami.e.s turc.que.s rencontré.e.s ces dernières semaines…

 

On reprend la route de Van vers la frontière iranienne. On passe par la route la plus directe, le poste frontière est plus petit mais Ayhan nous assure qu’il n’y a pas de problème. Au contraire, il nous déconseille la route qui passe par le nord en raison des montagnes qui sont dangereuses. Une recherche sur google nous le confirme, il y a eu récemment des affrontements entre le PKK et l’armée. On évitera donc la zone.

On longe un lac, les paysages sont encore grandioses. Il fait chaud malgré l’altitude, ça monte et on a le vent en face. On n’avance pas très vite, on préférait sans les sacoches ! 😉

On s’étonne de ne pas voir tant de militaires que ça à l’approche de la frontière. On en a quand même vus un certain nombre sur les derniers kilomètres (on est à 25km environ de la frontière). On s’arrête à la dernière ville avant la frontière. On préfère éviter le bivouac dans ces zones, on demande s’il y a un endroit où dormir. On nous indique la maison des profs qui doit héberger profs et instits pendant l’année scolaire. C’est parfait, on a une chambre avec dortoirs pour la nuit. En dinant, on réalise que nos voisins ont un pistolet à la ceinture… ce n’est pas la première fois qu’on en voit mais ça fait toujours bizarre et n’est guère rassurant. On va se coucher, une bonne journée nous attend demain !

21 COMMENTS
  • Christine
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    Stéphanie, je suis totalement solidaire de ta colère ! Pffff! La Turquie ça fait un peu peur son penchant vers l’obscure… Heureusement qu’il y a des gens sympas!

    1. Stéphanie Couvreur
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      Clairement, il y a de quoi être inquiets… On garde quand même de supers souvenirs, on a rencontré avant tout des gens géniaux ! 🙂

  • Cécile
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    Article très intéressant, merci beaucoup de prendre le temps de partager vos constats et réflexions. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, que ce soit en termes d’égalité hommes/femmes ou de liberté d’expression, et malheureusement on a parfois l’impression de reculer… Je vous fais confiance pour conserver votre capacité d’étonnement et d’indignation, elle est précieuse.
    Bonne route en Iran, qu’on a hâte de découvrir à travers votre récit.
    Mille bisous à vous deux, vous nous manquez aussi !

    1. Stéphanie Couvreur
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      Merci Cécile ! 🙂 Pas de soucis de ce côté, notre capacité d’indignation n’est plus que jamais présente ! 😉 (plus de détails bientôt !)

  • Nicole
    Reply

    Don t worry en Iran les gens sont accueillants Beaucoup parlent anglais Claude les filles sont magnifiques Courage bisous

    1. Stéphanie Couvreur
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      En effet, les iraniens parlent beaucoup mieux anglais que les turcs ! Et de mon côté, je trouve les iraniens plutôt pas mal aussi. 😉

  • Brigitte COUVREUR
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    Bravo Steph pour ton coup de gueule féministe ! (Ya encore du pain sur la planche)
    Bonne route , à bientôt avec des news iraniennes .
    Bisous

    1. Stéphanie Couvreur
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      C’est l’avantage du sujet égalité f/h, où qu’on aille, il y a encore beaucoup à faire ! 😉

  • Jean
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    Celles et ceux qui pensent que les femmes sont vouées à la reproduction en grand nombre d’enfants qui doivent être élevés pour penser comme leurs parents ne peuvent, à la longue, que gagner des élections démocratiques.
    La pensée (cynique ?) du jour…

    1. Claude
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      Il me semble que le film “idiocratie” s’intéresse à cette question, c’est plutôt une dystopie…

  • martine
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    Je partage largement ton moment de colère Stéphanie !
    Encore merci pour ces récits fort intéressants.

    1. Stéphanie Couvreur
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      Merci pour ton soutien Martine ! 🙂

  • TP
    Reply

    Salut Steph ! Tu te rappelles les tarifs de Quétigny svp ?

    1. Stéphanie Couvreur
      Reply

      Tarif normal enercoop sans les capas !

      1. TP
        Reply

        Ah super merci ! 🙂

  • Anne-Laure
    Reply

    Bonjour à vous deux et merci encore pour ce récit somme toute assez triste mais avec une lueur d’espoir avec vos rencontres de belles personnes 🙂 Ce moment pour la baignade, je l’ai vécu dans une campagne marocaine. J’avais pourtant pris toutes mes précautions (maillot de bain short + tee-shirt) mais les femmes présentes au bord de l’eau m’ont lapidé du regard!! Bref, j’espère que Nicole à raison et que malgré la culture patriarcale, de merveilleuses aventures vous attendent en Iran. Bonne route, des bisous d’une demoiselle en bikini au bord du lac de Savoie!

    1. Stéphanie Couvreur
      Reply

      Profite de la baignade en bikini pour moi ! 😉

  • Claire lalot
    Reply

    Coucou !

    C’est vraiment désagréable de vivre ces restrictions alors qu’au quotidien nous avons la chance de vivre dans un pays plus éclairé sur ces sujets!!

    Bon courage en tout cas. Vous nous manquez aussi!

    L’Iran promet d’être magnifique, et les Iraniens ont très bonne réputation en matière d’accueil.

    Gros bisous ?
    Claire

    1. Stéphanie Couvreur
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      Merci pour ton message ! 🙂 L’Iran est vraiment super en effet, gros bisous ! 🙂

  • Marie Noëlle
    Reply

    Merci pour toute l analyse et pour ton indignation. Pas facile j imagine d apprécier un pays pu une région dans ses conditions. Tu as bien fait de te baigner qd même !

    1. Stéphanie Couvreur
      Reply

      On a avant tout adoré la Turquie, on y a fait de très belles rencontres ! 🙂 Et en terme d’indignation, ce n’est que le début ! 😉 J’espère que le retour en France se passe bien ! 🙂

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