Cauchemar chinois

Au jour le jour

Cauchemar chinois

Une fois n’est pas coutume, les derniers jours n’ont pas été très agréables (et c’est peu dire), on est maintenant de retour au Kirghizstan donc pour ce.lles.eux qui s’inquiètent : tout va bien maintenant !

Mercredi dernier, nous avons fait nos adieux à Baptiste et Marion et nous sommes partis de Sary-Mogol avec Gabriel, Johanna et… la fameuse Côtelette qui avait son beau passeport tout neuf, précieux sésame qui devrait lui permettre de nous suivre. Pour être en règle, on avait demandé au véto d’antidater le vaccin contre la rage, on pensait qu’au pire elle ferait une semaine de quarantaine mais on avait même espoir qu’elle y échappe en passant par cette frontière terrestre (naïfs que nous étions !). Dans le pire des cas, on avait un plan B : si elle ne passe pas, on la met dans une voiture qui va dans l’autre sens pour la redéposer à Sary Tash là où l’on a trouvée. Ça nous fendait le cœur mais on se disait qu’on lui aurait au moins offert 10 beaux jours avec nous…

Tout ça, c’était le plan initial… mais les choses ne se sont pas passées comme prévu…

Depuis Sary-Mogol, nous avons pris direction plein est. Nous avons longé la chaîne de montagnes qui marque la frontière tadjique, c’était superbe ! Comme la chienne peine à nous suivre sur du plat sans vent, nous l’avons un peu “aidée” en la prenant à l’avant du tandem dans les descentes. Il n’empêche qu’elle nous impressionne par sa résistance, elle nous suit quoi qu’il arrive !

Le 2ème soir, nous avons dormi à quelques kilomètres de la frontière chinoise avec René et Thorven, 2 cyclistes allemands croisés sur la route. On a retrouvé la pluie qu’on n’avait pas vue depuis quasi 4 mois (à notre arrivée en Cappadoce en Turquie) ! Côtelette a bien compris qu’elle était avec nous, elle s’est mise à aboyer quand un berger s’est approché de notre campement ! Johanna lui a cousu un collier, on lui a fait une laisse avec une longe trouvée par terre, elle est prête ! Le matin, on prépare la traversée de la frontière, en pratique : on vide et cache nos bouteilles d’essence (à notre plus grande frustration d’écolos…), on démonte le vélo pour cacher les couteaux dedans, on se débrouille pour que nos téléphones ne soient pas opérationnels (Johanna démonte le sien et déconnecte la batterie, je fais planter le mien et Claude vide sa batterie)…

Pourquoi tout ça ? Il faut préciser qu’on ne traverse pas n’importe quelle frontière chinoise, on entre dans la province du Xinjiang, région la plus surveillée au monde… Le Xinjiang est historiquement habité par les Ouïghours, ethnie musulmane proche des ouzbèkes (et turcophone). La région est stratégique pour la Chine qui souhaite développer une “nouvelle route de la soie” (mille milliards de dollars d’investissements) qui a pour but de relier la Chine à l’Europe par la voie terrestre (on avait apprécié ce documentaire d’Arte sur le sujet).

La situation de la région est assez tendue : elle s’est faite envahir démographiquement avec l’arrivée de millions de Hans (ethnie majoritaire en Chine), un mouvement de résistance ouïghour s’est développé. Les années 2008-09 ont été marquées par plusieurs attentats meurtriers, la radicalisation islamiste progresse.

Depuis ces attentats, la Chine mène une politique ultra sécuritaire dans la région (la Chine dépense plus pour la sécurité dans cette région que les États-Unis pour l’ensemble du pays !). Des milliards sont notamment investis dans le numérique pour renforcer cette politique : caméras omniprésentes, reconnaissance faciale, utilisation du big data pour détecter les personnes “suspectes d’être dangereuses”, surveillance des téléphones… On était au courant de tout ça, on avait vu cette vidéo qui faisait déjà froid dans le dos. Cependant, le vivre fût encore une expérience différente…

On arrive donc le matin à la frontière tous les 5 (Johanna, Gabriel, nous 2 et Côtelette), on comprend rapidement que ça ne va pas être évident avec la chienne. Après une longue discussion (chacun doit appeler son responsable, qui lui même doit appeler un autre responsable…), on comprend qu’il est probable que la chienne doive rester non pas 7 jours mais… 30 jours en quarantaine. On refuse de lui infliger cela, 1 mois enfermée pour une chienne de rue, elle deviendrait folle… Évidemment, aucune info n’est sûre puisque la personne qui prend la décision est à 150km d’ici, dans le second poste frontière que l’on devra traverser.

A ce moment, nos interlocuteurs vont “téléphoner” et nous disent qu’on peut se reposer un peu. On comprend qu’est venu le temps de la fameuse pause du midi : 3h pendant lesquelles la frontière ferme ! On attend donc dehors et on mange les trois carottes qui nous restaient dans nos sacoches (il n’est pas autorisé de rentrer en Chine avec des produits frais et on pensait naïvement qu’on serait passés avant la pause midi…).

On commence à se dire qu’on va devoir se séparer de la chienne, les larmes commencent à couler… Après 3h d’attente, la frontière réouvre. Un peu plus tard, l’officier des douanes nous confirme qu’il ne peut rien nous confirmer (^^), son responsable est à Ulugqat, il pense que soit la chienne devra rester 30 jours en quarantaine, soit elle ne pourra pas rentrer en Chine, il ne pense pas que les 7 jours seulement de quarantaine seront possibles malgré ses papiers… mais il ne sait pas !

Cela nous semble trop risqué, on décide de la réenvoyer au Kirghizstan. Le sort joue contre nous, aucune voiture ne passe la frontière, seuls des camions passent et ils refusent catégoriquement de prendre la chienne. Nous sommes dans un couloir de grillages et barbelés. On voit une porte, si on la pousse bien, on peut y faire passer la chienne. Elle ne pourra pas revenir dans l’autre sens. De l’autre côté, se trouve la vallée et à 2 kilomètres, la ville de Nura. On fait confiance à Côtelette pour être assez intelligente pour retrouver son chemin. Clairement, depuis ce main, elle voit bien qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, elle est elle aussi toute triste et n’a plus aucune énergie. On la porte jusqu’au grillage et on la pousse de l’autre côté, en pleurs. On se dit qu’elle poursuivra sa vie de chienne errante qui suit des vélos…

On retrouve nos vélos et on commence à scanner nos bagages. A ce moment, on entend Gabriel : “la perra esta aqui”. Et en effet, on voit Côtelette à l’entrée du bâtiment qui, on ne sait comment, à réussir à tromper la vigilance chinoise pour nous retrouver ! Les autorités ne nous laissent pas le choix, la chienne ne peut rester là, on doit l’emmener jusqu’à Ulugqat. Raconté comme ça, cela paraît simple mais il faut imaginer qu’en pratique, pour chaque action, ça ne l’est pas du tout : un premier gars commence à nous dire qu’elle peut rester là, qu’il lui donnera à manger, puis un autre dit quelque chose d’autre, puis un autre dit qu’ils la piqueront, puis encore un autre qu’on n’a pas le choix, elle part avec nous… le tout dans un anglais catastrophique évidemment…

Suite au scan de nos affaires, se déroule une scène ubuesque “do you have cellphones ? computers ?” euh… vous ne les avez pas vus aux rayons x ?! On ne montre que notre appareil photo (chaque photo est regardée) et nos téléphones cassés. Gabriel se fait par contre installer le logiciel espion sur son téléphone. On nous demande d’ouvrir des sacoches prises au hasard, Gabriel montre deux fois la même sacoche sans que personne ne s’en rende compte pour éviter d’ouvrir la sacoche où se trouve son couteau (trop gros pour qu’il puisse le cacher dans le cadre du vélo).

Il faut maintenant rejoindre le second poste frontière, à 150km de là (on n’a toujours pas de tampon d’entrée dans notre passeport). Il est interdit de faire du vélo, un officiel nous amène à un camion (vide) qu’il réquisitionne dans lequel on charge nos vélos et où l’on s’apprête à embarquer. On lui demande où sont nos passeports qu’on n’a pas récupérés… il semble perdu. Je retourne avec lui au bâtiment, j’avais vu nos passeports dans les mains d’un gars, il est en fait chauffeur de taxi et a gardé nos passeports. Il refuse de nous les rendre (évidemment il veut qu’on monte dans son taxi pour qu’on le paie), ce qui est évidemment interdit, personne d’autre que nous ou quelqu’un du gouvernement n’a le droit de garder nos passeports. Le gars sympa (de la police quand même !) qui est avec moi insiste, le taxi refuse. On va finalement voir d’autres personnes (évidemment, je n’ai aucune idée de qui est qui) et conclusion : on doit finalement monter dans le taxi, le camion est devenu trop dangereux depuis que le taxi a nos passeports en main… On abandonne donc nos vélos et affaires pour aller dans le taxi. On négocie le prix alors qu’on se fait chasser par les autorités chinoises “everybody waits for you”, ça nous agace légèrement vu qu’on est arrivés ce matin et qu’il est déjà 19h (heure de Pékin)…

Nous voilà donc partis pour 2h de taxi avec une Côtelette terrorisée entre les jambes. On passe deux checkpoints et on arrive enfin au second poste frontière. Il est plus de 21h, c’est tout vide, ils rallument quelques postes pour nous, nos passeports sont (enfin) tamponnés. On a l’espoir que la chienne ne soit pas embêtée mais on est finalement convoqués dans un bureau. On montre le passeport de la chienne, ils sont incapables de le lire, ils me demandent même si c’est un passeport français alors que c’est écrit en cyrillique (cela laisse rêveur sur la connaissance du pays de l’autre côté de la frontière qu’ils surveillent…). Pour faire court, ils ne reconnaissent pas les papiers kirghizes du coup, la quarantaine n’est plus à l’ordre du jour, cette fois ils veulent piquer la chienne… (et comme d’hab, tout ça dure des heures et des heures)

Pour couronner le tout, à 1h du mat, on n’a toujours aucune nouvelles de nos vélos. Heureusement, Claude avait noté la plaque d’immatriculation du camion. On n’en peut plus… on demande un téléphone pour appeler nos ambassades ce qui nous est refusé, on est vraiment sous le choc de voir nos droits bafoués de la sorte…

Ils finissent par accepter de nous aider pour nos bagages en insistant qu’ils le font parce qu’ils sont “sympas”… (alors qu’on n’a eu aucun choix sur où mettre nos bagages et que nous avions de notre côté insisté pour rester avec les vélos !). Gabriel et Claude partent à la recherche du camion perdu, il était en fait bloqué aux douanes des camions qui étaient fermées pour la nuit ! Ils font sauter les scellés et récupèrent nos affaires, ouf ! Tout est re-passé au scanner, cette fois ils sont un peu meilleurs et repèrent le couteau de Gabriel qui doit s’en séparer… Ils nous demandent cette fois si on a de la nourriture ou des cartes. Des cartes ?! On a lu un blog où un cyclo passait la frontière avec une carte où Taïwan était d’une couleur différente de la Chine, sa carte a été… découpée !! Ça date un peu mais on se dit que c’est peut être toujours la même chose s’ils demandent à voir nos cartes ?

La frontière est fermée les 3 jours qui suivent (week-end puis fête nationale le lundi), on négocie donc pour que la chienne soit gardée pendant ces 3 jours, on la ramènera au Kirghizstan dès que la frontière réouvrira. On l’amène donc dans un grand bâtiment, une grande cage est assemblée et mise dehors. On est rassurés, on craignait pire…

On est escortés par la police jusqu’à un des rares hôtels qui acceptent les étrangers (évidemment, hors de question de faire du camping). On rentre dans une cour fermée par barbelés et barrière anti-émeute, on est accueillis par une femme et un homme tous deux munis de casques et gilets pare-balles. Ils veulent re-re-passer toutes nos affaires aux rayons x, il est 3h du mat, on est épuisés, on proteste. Les policiers qui nous accompagnent leur expliquent la situation (nos affaires viennent d’être vérifiées plusieurs fois) et on échappe cette fois au rayons X. Après cette journée éprouvante, on s’affale dans nos lits et on s’endort vite.

De manière générale, on a pris peu de photos, et seulement avec nos téléphones. Elles sont biaisées, vous n’y verrez quasi aucun policier ni voiture de police puisqu’on ne voulait pas qu’ils nous voient en train de prendre des photos, la réalité est donc pire que les images !

Pour rester positifs, on vous propose un petit jeu : repérer sur chaque photo au moins un dispositif relié à la sécurité ! La réponse est sur la photo suivante !

Pour commencer, une photo facile : l’entrée de la cour de notre hôtel :

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Voici une photo avec le personnel de l’hôtel, exceptionnellement le gars à droite n’avait pas son casque. La nuit, la gérante à gauche ne quitte jamais non plus casque et gilet pare-balles…

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Le lendemain, commence le casse-tête de “que fait-on ?”. Dans tous les cas, on ne veut pas laisser la chienne se faire piquer, il faut donc qu’au moins une personne la ramène au Kirghizstan, quitte à l’y abandonner. On élabore mille scénarios, c’est dur pour les nerfs… Pour ma part, j’ai été tellement choquée par notre traitement par les autorités chinoises que je n’ai aucune envie de rester dans le pays. D’un autre côté, on a imaginé ce voyage pour aller jusqu’en Asie du Sud Est. Comme on n’a plus envie de prendre l’avion, on sait qu’on n’aura plus beaucoup d’occasions d’y aller dans nos vies. Y renoncer est difficile…

On va au centre ville pour déjeuner et faire quelques courses. Sur le chemin, on commence à réaliser ce qu’est cette surveillance policière : on compte 100 caméras en 4km (dont 2km de vide) !! Une fois dans le centre ville, on n’arrive plus à les compter tellement il y en a partout.

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Dans le petit resto où l’on s’arrête (et où l’on redécouvre de la bonne nourriture !), des policiers entrent, viennent jusqu’au fond du resto (on se demande s’ils n’ont pas bipé un dispositif à l’intérieur), collent une affiche avec un qr code sur la vitrine.

Des voitures blindées sont dans la ville, il y a des postes de police à chaque coin de rue (littéralement), casques et gilets pare balles sont de rigueur à l’entrée des magasins… On rentre dans un supermarché, on doit scanner notre passeport, une caméra avec reconnaissance faciale nous filme. Deux jours plus tard, on voudra retourner dans ce magasin, on nous demandera de laisser nos passeports à l’entrée, ce qu’on refuse, tant pis pour les courses…

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Une voiture de police nous suit “discrètement”, on s’amuse à faire des virages et entrer sur un parking. Claude leur fait coucou et je me décide finalement à leur demander de l’aide, ils semblent affolés, leur filature a été repérée ! Ils acceptent finalement de nous amener au magasin de vélo que nous cherchions, cette fois, c’est nous qui les suivons !

Tout ce déballage de sécurité est la preuve qu’il y a bien un problème dans cette région : si c’était justifié, jamais les touristes ne seraient autorisés. Il serait dangereux de mettre un pied dehors… ce qui n’est clairement pas le cas ici…

On passe voir (et nourrir la chienne) puis on rentre à l’hôtel (après un passage de nos bagages aux rayons X et nous aux détecteurs de métaux évidemment). Le moral est (très) bas : on ne sait toujours pas quoi faire, la situation de la ville est terrifiante en terme de droits humains…

On pense aussi à tous les témoignages de cyclistes : escorte policière pendant 40km collés au vélo, impossible d’acheter de l’essence, réchaud pris dans le train, interrogatoires, routes fermées au bout de 200km (obligé de faire 1/2 tour)… Clairement, on n’a pas très envie de rester…

A ce moment, je lis cet article que je partage à Claude (de manière générale, il y a plein de liens dans ce post, n’hésitez pas à les ouvrir si ça vous intéresse !). Il détaille tout le programme de destruction de la culture ouïghoure entrepris par la Chine. Un million de personnes sont actuellement en camps de “rééducation”, autrement dit des camps de concentration. La publication d’une annonce de recrutement pour 50 gardes “endurcis” pour travailler dans un crématorium laisse imaginer le pire… On réalise qu’on est dans un état qui mélange la surveillance de l’Allemagne de l’Est (avec les meilleurs outils numériques du 21ème siècle) et la volonté d’extermination d’une culture de l’Allemagne nazie (et peut-être même des gens ?). Si des camps d’extermination voient le jour, on ne pourra pas dire “on ne savait pas”. Aujourd’hui, pense-t-on qu’il était éthique de faire du tourisme en Pologne alors qu’il n’y avait “que” des camps de concentration et pas encore d’extermination ? Non, et clairement, nous ne voulons pas cautionner ce système en donnant notre passeport à chaque contrôle, dépensant de l’argent dans la région…

De manière générale, nous nous posons beaucoup de questions sur le rôle du voyageur, surtout quand dans des pays totalitaires. En Iran, nous nous étions par exemple renseignés pour rencontrer des militantes féministes mais on nous l’avait déconseillé, principalement pour leur sécurité. Pour reprendre l’exemple de l’Iran (qui nous a beaucoup révolté), le pays viole les droits humaines, des femmes vont en prison si elles refusent de porter le voile. Cependant, il y a une “justice” et il existe des lois contre lesquelles il est possible de combattre. Par ailleurs, la parole est libre et nous avons abordé le sujet à de maintes reprises avec des iranien.ne.s. Dans le cas de la Chine, la situation est toute autre : il n’y a pas de lois. On est face à du pur arbitraire avec un objectif de destruction d’une minorité. Par ailleurs, on sait qu’il est quasi impossible d’aborder le sujet avec les habitants : barrière de la langue, mise en danger des personnes, méconnaissance pour les autres… les journalistes ont d’ailleurs beaucoup de mal à traiter le sujet.

Et pour alimenter vos cauchemars sur ce que fait la Chine avec le numérique, voici un article (en anglais) sur le programme en cours d’implémentation dans l’ensemble du pays.

 

C’est donc décidé, on quitte la Chine ! On finit même par imaginer un nouvel itinéraire qui nous enthousiasme. Le moral est reparti, ça fait du bien ! On passe une dernière soirée avec Gabriel à qui l’on souhaite une excellente route pour la suite !

Quitte à retourner au Kirghizstan, on décide aussi de tout faire pour garder notre adorable petite Côtelette. Il nous faut donc lui trouver une remorque pour qu’elle puisse nous suivre! Claude ne recule devant aucun défi et se lance dans la construction d’une ! (on n’a pas assez de temps pour s’en faire livrer)

Avec Johanna, on rend visite la chienne. On l’emmène dans l’herbe au soleil… jusqu’au moment où un gars nous demande de la remettre dans la cage : il y a des caméras partout et si quelqu’un réalise qu’il nous a laissées sortir, il risquerait d’avoir des problèmes… Cette situation nous est arrivée à plusieurs reprises : tout le monde est flippé de ces caméras qui sont omniprésentes et empêche toute prise d’initiative. Pendant un moment, on est dans la cage avec la chienne, on arrive finalement par s’asseoir dans l’herbe avec elle juste à côté de la cage, c’est déjà ça… En fin d’aprem, on voit Claude qui arrive tout sourire : il a passé sa journée à bricoler et à sillonner la ville à la recherche des bons matériaux et… il a quasi fini une remorque ! On est bluffées !!

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Le lendemain, c’est jour de fête pour les chinois. Le ferrailleur/bricoleur de Claude nous offre des gâteaux de la Lune. Il va déjeuner chez sa famille, on se rend en ville avec l’espoir de manger un canard laqué (le repas traditionnel de Claude pour son anniversaire, on espérait le déguster a posteriori !) mais finalement, on n’aura que du poulet rôti… On retourne voir la chienne qui commence à s’impatienter : elle a réussi à s’enfuir de sa cage pendant la nuit (elle fait quand même 2m de haut !) et sa gamelle en alu est complétement défoncée et percée de marques de crocs… Ça nous fait vraiment de la peine, et ce, d’autant plus qu’elle est totalement adorable avec nous… Elle ne grognera même pas quand on la remettra dans sa cage…

Lors de cette visite, on a l’occasion de discuter avec le jeune douanier qui parlait anglais (rare qualité) lors de notre arrivée en Chine. Il est ouïghour, il nous explique qu’il a eu de la chance d’avoir fait des études, contrairement à nombre d’ouïghours. On apprend que dans la région unique, la règle de l’enfant unique avait une dérogation, les familles ont toujours eu le droit d’avoir 2 enfants. Cependant, de nombreuses familles ont illégalement eu plus d’enfants pour avoir au moins un garçon (je vous passe d’autres phrases magiques de sexisme…), on en déduit que les enfants supplémentaires n’ont pas été déclarés et ne sont pas allés à l’école… (si quelqu’un a plus d’infos, on est preneurs).

De manière générale, on essaie de lui expliquer que l’éducation est une meilleure solution que la répression mais il n’est pas convaincu, il nous explique que la Chine est obligée de surveiller de la sorte les citoyens, sinon ils font n’importe quoi (!). Pour lui, la situation n’est que temporaire et le gouvernement va rendre les libertés aux citoyens d’ici quelques années. Il est ainsi d’accord pour ne plus avoir de passeport au nom de la sécurité du pays (les ouïghours n’ont plus de passeports). Il finit quand même par nous avouer que si la situation ne s’arrange pas d’ici 5 ans, il déménagera à l’est de la Chine où il sera (un peu) plus libre… A propos de notre soirée à la frontière pour entrer dans le pays, il nous avoue qu’il n’avait pas pu nous laisser son téléphone pour appeler nos ambassades car il aurait lui même eu des problèmes !! Appeler l’étranger (et a fortiori une ambassade étrangère) est répréhensible, personne ne pouvait donc nous passer un téléphone sans s’exposer personnellement à des problèmes…

On est contents d’avoir eu cette discussion, on aura compris quelques éléments en plus et surtout, on aura constaté à quel point le lavage de cerveau est efficace…

Le soir à l’hôtel, on est rejoints par Roberto, un cycliste espagnol qui va passer avec nous la frontière pour retourner au Kirghizstan (lui vient de l’est de l Chine, son facebook : tras mis pasos). On a hâte de quitter le pays et on imagine qu’il sera plus facile d’en sortir que d’y entrer. Encore une fois, on est bien naïfs ! Voici le déroulé de notre journée :

  • 7h30 : lever et préparation des affaires
  • 9h15 : départ pour récupérer la chienne
  • 9h45 : Côtelette est avec nous, on va au 1er contrôle de police qui ouvre officiellement à 10h
  • 10h30 : ouverture réelle du contrôle de police
  • 11h : arrivée au 1er poste frontière
  • 11h15 : ils réalisent qu’on a un chien, on montre le papier qu’on avait eu 3 jours plus tôt qui nous autorise à sortie avec la chienne, coups de fils
  • 11h45 : la chienne ne semble plus être un problème, ils réalisent maintenant qu’on est à vélo et qu’on ne peut pas pédaler les 150 km jusqu’au 2nd poste frontière, on explique qu’à l’aller, on avait mis nos vélos dans un camion vide à la demande des autorités, ça semble compliqué, les camions dans ce sens seraient plein
  • 12h : espoir de monter dans un car de touristes allemands avec nos affaires. Impossible finalement, les chinois refusent (ne demandez pas pourquoi)
  • 12h30 : des taxis nous demandent une somme déraisonnable pour nous emmener avec nos vélos à la frontière
  • 12h45 : on se met d’accord sur un prix (la même chose qu’on avait payé à l’aller)
  • 13h : nos affaires sont scannées et nos passeports tamponnés, on charge nos vélos dans le taxi, on demande à récupérer nos passeports (suite à la mauvaise expérience de l’aller et… c’est tout de même notre droit !)
  • 13h20 : les chinois ne veulent pas nous rendre nos passeports et insistent pour les donner à ces conducteurs de taxi antipathiques au possible, on cède et on accepte
  • 13h30 : nos passeports nous sont rendus avec un tampon “canceled” sur notre tampon de sortie, ils n’ont pas apprécié qu’on insiste pour garder nos passeports, un officiel nous explique qu’on ne passera pas la frontière avant le lendemain en nous criant dessus “this is China !”, on ne peut pas aller au poste frontière suivant sans ce tampon, on est bloqués là pour au moins les 3h de pause midi…
  • 14h : on appelle nos ambassades respectives, je vous laisse deviner quel pays répond quoi (France, Espagne, Allemagne) :
    • pays 1 : “ce n’est pas le bon numéro, rappelez le consulat au numéro qui finit par 482, au revoir” (puis consulat injoignable)
    • pays 2 : “vous êtes dans une province très reculée, nous ne pouvons rien faire pour vous, voyez avec les autorités locales chinoises et surtout privilégiez la con-ci-lia-tion ! Et n’oubliez pas de leur dire que la Chine est un pays fantastique et que vous avez a-do-ré la culture”
    • pays 3 : appelle la frontière et obtient qu’on puisse quitter l’après-midi avec le prix normal pour le taxi, nous aide tout au long de l’aprem
  • 16h30 : heure théorique de réouverture de la frontière
  • 17h15 : on arrive à comprendre que tant qu’on n’a pas de taxi, on n’aura pas de tampon de sortie
  • 17h30 : le taxi du matin nous revient, il a multiplié son prix par trois
  • 17h45 : on finit par se mettre d’accord sur un prix raisonnable (plus cher que le matin mais on veut absolument quitter le pays)
  • 18h : nos passeports sont tamponnés et… le taxi part avec d’autres clients (preuve qu’ils ne sont pas dignes de confiance…), les chinois sont affolés de ce départ inattendu. C’est positif, ils veulent enfin se débarrasser de nous !
  • 18h30 : on trouve un autre taxi, on charge tout, monte dedans et enfin on part !!
  • 20h30 : arrivée 2nd poste frontière qui a l’air plus ou moins fermé, on passe et on arrive devant les dernières grilles… fermées ! On attend…
  • 20h55 : un militaire vient nous ouvrir les grilles, on passe, ça y est, on a quitté la Chine !!!
  • 21h : passage de la frontière kirghize
  • 21h30 : bivouac à quelques centaines de mètres de la frontière où l’on retrouve d’autres cyclistes qui souhaitent aller en Chine le lendemain matin

Le soulagement est intense, on se sent enfin libres ! On se couche épuisés mais contents : le cauchemar chinois est terminé !!

Ce court séjour en Chine fût de loin l’expérience la plus désagréable, si ce n’est traumatisante, depuis le début de notre voyage. On est conscient que ce n’est qu’un aperçu très réducteur du pays, les cyclos nous ont dit extrêmement de bien d’autres régions, on avait notamment très envie d’aller dans les contreforts du Tibet mais tant pis, on découvrira plein d’autres choses et surtout, on refuse de cautionner un gouvernement qui ne respecte aucune loi, tant internationale avec les touristes, que locale avec ses propres citoyens.

A défaut de mieux, je vous invite à signer cette pétition d’Amnesty contre les camps de rééducation : http://info.amnesty.be/chine-camps-de-reeducation.html

L’aventure continue !

 

PS : si vous avez eu des doutes, pays 1: Espagne, pays 2 : France, pays 3 : Allemagne

23 COMMENTS
  • Claire
    Reply

    J’attendais ce post avec impatience. Que d’émotions et brave côtelette.
    Je suis extrêmement soulagée pour vous, mais restez toujours prudents !
    La remorque de Claude est stupéfiante ! Bravo
    Profitez bien de la suite, gros bisous !

  • Martine
    Reply

    Cotelette a eu beaucoup de chance de vous rencontrer! Que d’émotions!

  • Anneline
    Reply

    Ca fait froid dans le dos ! Bravo de vous être serrés les coudes entre cyclo et d’avoir su persévéré et faire preuve de créativité pour sortir de ce bourbier !

  • Jean
    Reply

    Dans ce récit cauchemardesque un quizz hilarant sur les ambassades européennes !

  • Jean
    Reply

    Enfin, de manière plus prosaïque, mon hilarité retombe quand je pense à la part de mes impôts consacrée aux affaires étrangères.

  • Anita
    Reply

    Vous avez su surmonter les moments de découragement. On reconnaît bien là votre esprit volontaire et votre capacité à rebondir sur d’autres projets. Et caresse à Côtelette

  • Ruven
    Reply

    Sidérant, ça ne donne pas envie d’y aller. Impossible d’apprécier

  • Rata
    Reply

    Merci pour le partage. Ça a l’air horrible là bas et surtout que le lavage de cerveaux marche bien!! Contente que Côtelette puisse rester avec vous. Trop fun à lire tes articles Stéph, faut que tu fasse écrivaine!!!

    Ps je pensais que les pays sont 1. FR, 2. ES 3. DE !!!! Fin le 3ème c’était facile alors ça ne compte pas si je l’ai juste…

    Gros bisous et bon courage à vous 3 !!

    1. Rata
      Reply

      Fin 4 (+ Côtelette 🙂 )

  • Juliette
    Reply

    J’aurais dit l’inverse entre la France et l’Espagne, mais à y réfléchir, c’est le cliché logique. Bon je suis convaincue que vous avez fait le bon choix, ça fait froid dans le dos. On croit qu’avec notre univers de “sur information”, on est bien au courant de ce qui se passe dans le monde, mais en fait, il y a quand même des endroits où les journalistes ne peuvent pas même investiguer. Et vive la côtelette. Elle a l’air tellement attachante et maline.

  • Brigitte Couvreur
    Reply

    Quelle incroyable histoire et tellement triste! Que de patience et de persévérance !
    Bravo à vous , Côtelette incluse !
    Ne lâchez rien !
    Bisous de nous 2 .

  • Christine
    Reply

    C’est fou! Le monde est plein de surprises inouïes. Dans les meilleures vous avez la nature, les rencontres humaines ( ou animales…) et dans les pires… Vous avez…ben, la même chose , avec vous au milieu qui faites face. Prenez d’autres chemins de traverses. On pense bien à vous.

  • Béatrice
    Reply

    Récit haletant, mais aussi impressionnant … Bravo à vous pour votre pugnacité et pour la défense de Côtelette qui a de la chance de vous avoir rencontrés. Mille mercis pour cette aventure que vous nous faites partager avec beaucoup d’émotions et autant de talents.

  • Pascal
    Reply

    Quelle horreur, c’est encore pire que ce que je pensais… Je suppose que c’est encore pire dans cette région que dans le reste de la Chine…
    En lisant ce récit, je ne regrette vraiment pas mes dons à Amnesty, qui lutte tout particulièrement contre ce genre d’injustices et de traitements arbitraires ; je ne peux qu’inviter d’autres lecteurs à participer au fonctionnement de cette ONG très sérieuse (j’espère que vous m’excuserez pour cette “pub”). ( pour ceux qui veulent plus de détails sur la situation en Chine, leur rapport annuel : https://www.amnesty.org/fr/countries/asia-and-the-pacific/china/report-china/ )

    Pour une note positive, la remorque de Claude est de toute beauté ! Je doute juste que ses petites roues lui permettent de tenir toute la distance qu’elle va devoir parcourir pour le retour en Europe, mais j’imagine que vous avez prévu de les changer (ou de changer toute la remorque).

    Des bisous, et bon retour à des contrées moins “civilisées” et plus sauvages (ou inversement d’ailleurs…)

    1. Stéphanie Couvreur
      Reply

      Merci pour ton retour Pascal ! J’ai aussi donné (et écrit de nombreuses lettres !) à Amnesty pendant pas mal d’années. D’ailleurs, j’ai oublié de partager cette pétition : http://info.amnesty.be/chine-camps-de-reeducation.html
      Je la rajoute dans l’article !
      (et pour la remorque… on l’a déjà abandonnée… :/ )

  • Charlot
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    Wow quelle aventure… Ça fait froid dans le dos. Courage à vous tous ! Vous comptez prendre quel chemin maintenant ?
    Plein de bisous!

  • Cécile
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    Effectivement, le terme de cauchemar est parfaitement adapté à votre récit !! On se croirait dans la fiction d’une dystopie sauf que là, malheureusement, c’est réel ! ça a dû être très éprouvant psychiquement pour vous, mais je frémis d’effroi en pensant au sort de tous ces ouïghours.
    Je trouve votre projet de route à vélo (enfin en tandem) encore plus génial maintenant que vous faites la boucle complète, cela vous permettra probablement une transition vers l’Europe plus douce ! Et puisqu’on parle de retour, j’ai l’impression que vous serez parmi nous dans deux ou trois mois, mais non, vous allez en profiter encore bien plus longtemps !!

  • Estelle
    Reply

    Ouaaaah… la galère !! Vous avez bien fait de ne pas y aller, et au moins vous avez votre super chienne avec vous 🙂

  • jocosnesurloire
    Reply

    j’ai lu le truc c’est hallucinant, mais peut être justifier et normal, mieux vaux revenir que guérir, pour les suivants, en tout cas bon voyage. bonne route.!!

  • Xavier
    Reply

    Hé ben, ça fait bizarre d’entendre des témoignages de première main sur un Etat totalitaire… Ca rappelle les histoires d’avant la chute du mur. J’avais entendu parler de ce que les Hans faisaient aux Ouighours, mais c’est terrible de le voir en direct.
    Bravo d’avoir persévéré, réfléchi, et su changer d’avis si c’était important pour vous !
    Et bravo pour la remorque, on voit l’utilité d’être passé par le “club inutile” 😀

    1. Claude
      Reply

      Ahah c’est clair, d’ailleurs mes échanges avec les soudeurs à qui j’ai dû expliquer ce que je voulais étaient à peu près du même niveau d’absurde que ce que le club avait le don de provoquer…

  • Claire Lalot
    Reply

    Hey!

    Ça fait froid dans le dos….
    Vous m’avez bien fait rire avec l’anecdote des ambassades 🙂
    La suite sera forcément moins traumatisante. On observe aussi le lavage de cerveaux avec certains chinois pourtant adorables et qui vivent depuis de nombreuses années en France, j’imagine que ce n’est pas facile de remettre en cause un système si solidement ancré ..
    Des bisous

  • Pierre
    Reply

    Excellente description de la methode de conquête chinoise . Ma soeur qui a vecu en Chine 35 ans m’avait fait la meme description pour le Tibet et Hong kong. Je suis en train de voir les prémices en Espagne. Une etape est d’acheter la dette d’un pays, puis les infrastructures. Le port du Pirée en Grece, le 1/4 de la dette en Espagne. Ensuite Alibaba et autres Amazon chinois installent un dépot. Et toute l’europe est inondée de produits chinois de qualité. Pour voir la suite, il suffit de voir ce qui se passe en Argentine depuis 1998.

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