Après Pamukkale, la route jusqu’à Kaklic n’était guère réjouissante : une grosse route la plupart du temps ou à défaut des détours qui montent/descendent dans des chemins… On longe un énoooorme parc photovoltaïque, je suis impressionnée par l’essor des énergies renouvelables en Turquie : je n’avais jamais vu autant d’éoliennes que sur la côte près de Cesme, des pans de montagnes entiers sont recouverts de panneaux PV, la plupart des maisons sont équipées de chauffe-eau solaires et on a croisé une gigantesque installation de géothermie avant Pamukkale.
Bon an mal an, on est content quand la 2×2 voies (avec un bas côté quasi aussi large qu’une voie complète) se transforme en 2×7 voies !! Un bas côté sépare une 3 voies et une 4 voies, on se retrouve tout à droite avec juste un tracteur qui nous dépasse de temps en temps !
La suite de l’itinéraire ne nous amuse guère : encore 20km sur cette grosse route avec aucune alternative… On tente le stop sans succès, on n’arrive pas non plus à trouver de bus adéquat. Résignés, on s’apprête à repartir quand on réalise quand on a traversé plusieurs fois des rails depuis ce matin, on trouve la gare, un train part demain matin pour Dinar, parfait ! On essaie de négocier l’installation de la tente sous le auvent de la gare, ça ne marche pas. On fait le plein d’eau et on se dirige vers la sortie de la ville. Une femme nous prend en photo depuis son jardin, on fait 1/2 tour et on lui demande si elle connait un endroit où l’on peut planter la tente. Son mari arrive, il passe un coup de fil et nous emmène à un parc caché de la route. On était passés devant sans le voir, il a appelé la mairie et les gendarmes, il n’y a pas de soucis, on peut y passer la nuit ! Il y a de l’eau et des toilettes que l’on peut utiliser dans un grand bâtiment public à côté, parfait !
Sonia et Pirmin nous rejoignent. Ils s’installent eux aussi dans le parc, abandonnant l’idée d’avancer sur la grande route le soir (ils vont aussi en Cappadoce mais par un itinéraire différent du notre). La femme et l’homme qui nous ont aidés nous apportent des fruits, on passe un bout de soirée avec eux, on discute aussi avec leur nièce qui vit en France via whatsapp.
Pendant la nuit, on est réveillés par un tambour qui passe et repasse à deux pas de la tente. Il n’y a pas de doute, on veut nous réveiller !! Cela fait plusieurs nuits que j’entends de tels bruits (à côté de Claude qui dort profondément), une petite recherche google confirme mes soupçons : pendant le ramadan, les “tambours du ramadan” sillonnent les rues pour réveiller les habitants pour qu’ils puissent manger leur dernier repas avant le jeûne de la journée. La tradition serait en train de s’éteindre selon les articles que je lis, elle semble cependant bien active dans les campagnes que l’on a traversées !
Le lendemain, nous prenons le train pour Dinar après une mini négoce avec le contrôleur pour embarquer le vélo (il n’y a quasi personne dans le train donc on ne gêne vraiment pas). Le trajet, en plus de nous éviter la grosse route, nous épargne quelques centaines de mètres de montée, nos jambes en sont d’autant plus satisfaites !
Nous voilà donc propulsés sur le plateau Anatolien ! Il est 10h30 et à notre plus grande surprise, on ne meurt pas déjà de chaud ! Le climat est bien différent, on peut reprendre un rythme normal sans avoir besoin de se lever à 5h du mat pour éviter les chaleurs du milieu de journée.
On traverse des champs de pavot, l’orage approche, on se réfugie sous un abri bus où l’on oubliera nos cuillères.
Le soir, à défaut de bon bivouac, on s’installe à côté d’une station essence. On est choyés avec du thé et de la pizza pide chaude qu’on nous apporte ! Le lendemain matin, je range tranquillement les affaires pendant que Claude va chercher les cuillères, si vous avez raté cet épisode, Claude vous raconte tout !
On passe les jours suivants à traverser d’énormes plaines agricoles, qui, selon les vallées peuvent être magnifiques (montagnes, blés qui ondulent sous le vent, palette de couleurs incroyable…) comme franchement ennuyantes (ça me rappelle la Beauce !).
Heureusement que notre petite enceinte est là, on finit (enfin !) les 3 mousquetaires (@Cécile, on a beaucoup aimé !!) et on enchaîne les podcasts d’Arte Radio notamment la super série “Que sont-ils devenus ?”. Pour vous donner une petite idée de ce que c’est de pédaler dans de telles immensités, un petit extrait en vidéo :
Quand on est arrivés en Turquie, on nous avait prévenus, il existe 2 Turquie : celle de la côte, de l’Ouest, européenne, laïque, et celle d’Anatolie, paysanne, conservatrice (même si évidemment, il ne faut pas en faire des généralités absolues). On oppose par exemple souvent Erdogan qui vient d’une famille paysanne anatolienne au milieu intellectuel libéral laïc de Turquie. Clairement, on est dans la 2ème partie de la Turquie : les villages vivent de l’agriculture exclusivement, les rares femmes que l’on voit dans la rue sont voilées… à ce propos, Claude vous avait parlé des cafés où des “personnes” passent leur journée à boire du thé (pas trop en ce moment puisque c’est le ramadan) et à jouer à des espèces de dominos. En fait, ces personnes sont exclusivement… des hommes ! Autant vous dire que je me sens parfaitement à l’aise quand on s’arrête prendre un thé…
A ce propos, on prend l’habitude de ne pas cuisiner le midi et de s’arrêter dans de petits restos (où je suis encore la seule femme comme vous avez pu le deviner !). On rentre dans les cuisines pour choisir ce que l’on veut manger, le contenu peut cependant rester parfois assez énigmatique. C’est ainsi que je me suis retrouvée avec dans la bouche, une énorme cuillère de soupe aux tripes d’agneau. Quelle ne fût pas ma surprise ! Je crois que je n’ai jamais été aussi écœurée de ma vie, Claude ne s’en remet toujours pas de la grimace de dégoût qui a traversé mon visage. Heureusement, le reste était un pur délice ! Et voici en images, une autre surprise gustative :
Un autre midi, nous avons traversé un petit village dont le seul endroit pour manger était la petite épicerie où le jeune qui y travaillait nous a préparé des “toasts” : pain grillé, ketchup et quelques bouts de saucisse piquante. Heureusement qu’on avait des réserves, on s’est rattrapés au goûter ! Clairement, il n’y a pas beaucoup de touristes qui doivent passer par ici. On devient vite l’attraction du village et deux jeunes viennent nous voir pour nous proposer de passer à leur école. Leur prof d’anglais au téléphone nous invite au collège.
Nous sommes reçus par une petite délégation (principal, principale adjointe), la prof d’anglais fait office d’interprète. Je suis finalement assez étonnée, nous ne sommes pas spécialement là pour parler aux enfants comme je me l’imaginais, l’équipe éducative veut juste nous dire bienvenue et discuter avec nous. Ils nous demandent notamment quelle image de la Turquie nous donne les médias. On se demande un peu où va nous mener cette conversation, le sujet des médias est assez délicat en Turquie puisque la liberté de la presse n’existe plus et que les médias étrangers sont accusés de complicité avec les terroristes (un exemple récent) par le gouvernement… On n’ose pas trop aller plus loin dans la conversation même si nos interlocuteurs ont surtout l’air de critiquer les médias turcs ce qui est plutôt rassurant.
A ce sujet, la situation politique en Turquie est vraiment gravissime, les droits de l’homme sont bafoués chaque jour : nombre d’universitaires, journalistes ou encore magistrats sont en prison et la torture est revenue dans les commissariats. Si vous voulez en savoir plus et comprendre comment le pays en est arrivé là, je vous conseille vivement les enquêtes sur la Turquie du journal Les Jours (très bon magazine de manière générale, on s’est abonnés et on ne regrette pas !). Internet est aussi fortement contrôlé comme en atteste ces captures d’écran quand j’essaie d’accéder à Turkey Purge et à son facebook, site qui répertorie les violations des droits de l’homme en Turquie (j’ajoute aussi une capture d’écran du site accessible).
Et pour vous donner un exemple moins subversif, Wikipédia est aussi interdit ici. Il arrive parfois que le gouvernement coupe les accès aux réseaux sociaux comme whatsapp ou twitter, Claude a installé un VPN qui nous permet de contourner ces limitations.
Des nouvelles élections auront lieu à la fin du mois, l’enjeu pour Erdogan est d’être réélu pour que les changements de constitution votés au dernier référendum s’appliquent, la Turquie deviendra alors un régime présidentiel où il aura (quasiment) les pleins pouvoirs. Cependant, l’opposition s’organise et il est possible que cela ne se passe pas comme il a prévu, du moins on l’espère… On ne voit pas beaucoup de signes de cette campagne à notre niveau, il n’y a aucune affiche électorale, parfois des drapeaux de soutien à l’AKP (le parti d’Erdogan) mais rien de plus dans les rues du moins. Et à part avec l’un de nos hôtes, aucun turc ne nous a parlé de politique, on a essayé (très) doucement à plusieurs reprises mais sans succès, on se demande donc ce que pensent les turcs que l’on rencontre, quel degré d’informations ils ont sur la situation…
Revenons à nos moutons et à l’école qui nous a accueillis. Après notre discussion, on prend une photo avec les enfants et on retourne à la place faire le plein en eau et prendre une glace (on n’a pas beaucoup mangé avec tout ça !). On réalise qu’on est samedi, on demande aux jeunes quels jours ils avaient école mais nos niveaux respectifs de turc/anglais ne nous ont pas permis d’être très concluants….
Sur la place, plusieurs personnes nous mettent en garde, “köpek köpek”, si on veut continuer dans la direction prévue (où l’on sait qu’il y a au moins 30km sans aucun village), il faudra affronter le… chien (köpek en turc) ! On ne sait pas vraiment s’il y en a un ou plusieurs et où il sera/sont mais ce qu’on a bien compris, c’est que c’est un gros chien agressif qui semble terroriser tout le village. Ni une ni deux, Claude réalise le pistolet à eau qu’on n’a toujours pas acheté (voir épisode précédent) en perçant le bouchon d’une bouteille. Un turc nous fait signe que notre arme de niveau 1 ne sera clairement pas suffisante contre ce chien de niveau 12, il va nous chercher un énorme bâton. On prend notre courage à 4 mains, je m’installe avant avec d’une main la bouteille, l’autre le bâton. On a l’impression d’aller voir le boss final d’un jeu vidéo ! Des enfants nous accompagnent pendant la montée, on se dit que le chien doit être un peu plus loin.
On attaque la descente, on arrive dans une magnifique vallée, les blés brillent et ondulent sous l’effet du vent (à voir dans la vidéo ci-dessus), il y a une espèce de gros tas de cailloux rouges, on espère que ce n’est pas le terrier du chien, il serait vraiment gros… En fin d’aprem, toujours pas de chien en vue, un orage approche, on pousse un peu sur les pédales, on n’a pas vraiment envie d’être dessous au milieu de plaines… On croise un mini village, un paysan rentre ses vaches, il nous parle en français ! On traverse le troupeau, une vache nous observe, curieuse, elle avance vers nous puis… court vers nous ! Mais elle ne serait pas en train de nous charger ?! On accélère, on la distance et elle finit par s’arrêter en poussant un terrible meuglement… On n’aura pas rencontré le terrible köpek mais on aura eu notre dose de gros animal méchant ! Après une bonne journée, on atteint un village où l’on trouve un garage abandonné où l’on peut s’abriter de l’orage. On voit des éclairs qui illuminent toute la vallée, c’est magnifique ! (et ce, surtout quand on est au sec !)
Le lendemain, on bivouaque dans une splendide vallée, des bergers viennent nous voir et nous demandent qui on est. Ils comprennent qu’on est des touristes et donc qu’on ne représente aucun danger pour leurs brebis, ils s’assurent qu’on a bien mangé et nous montrent où est leur maison en cas de problème.
Le jour d’après,on aperçoit une cigogne dans un champ, puis une 2ème, une 3ème… mais c’est que ce champ est rempli de cigognes !! Et encore mieux, une 30aines d’entre elles forment un magnifique ballet dans le ciel ! On ne voit pas grand chose mais ça donne déjà une idée, c’était magnifique !!
Puis on attaque une belle montée. On passe de micro-villages en micro-villages sans voir ni restau ni épicerie comme on en a l’habitude. A l’heure du déjeuner, Claude demande à un employé de banque (groupama semble ultra présent pour les coopératives agricoles) s’il y a manger quelque part dans le village. Il nous amène un thé, nous dit de ne pas bouger et part. Il revient quelques minutes plus tard avec son fils et nous fait signe de le suivre. On est en fait invités à déjeuner chez lui !! On rejoint sa maison sous le tonnerre, et un tel déluge qu’on est obligés de s’arrêter à mi-chemin pour éviter les gros grêlons qui nous tombent dessus. On passe un super moment avec sa famille, Claude gère le turc et on arrive à avoir de petites conversations. On apprend ainsi que la plupart de ces villages sont (quasi) déserts l’hiver pour fuir les hivers rigoureux. Les habitants redescendent dans la vallée et ses villes. Cette famille a ainsi 2 maisons. On croise pas mal de camps avec de grandes tentes le long de nos routes ainsi que des mini-bus qui transportent des travailleu.ses.x aux champs (il y a aussi des femmes cette fois), on devine que ce sont des personnes qui n’ont pas les moyens d’avoir 2 maisons (hypothèse à confirmer cependant).
On repart pas très sereins avec l’orage qui semble s’éloigner. On guette régulièrement les cumulonimbus, on aperçoit de plus en plus d’éclairs. On fait une pause dans un village, les hommes sortent de la mosquée. On se ravitaille à l’épicerie du coin, je paie une broutille, l’un d’entre eux nous a en fait offert discrètement nos courses (on le voit payer l’épicier un peu plus tard). Ils nous demandent où on loge et nous invitent à la mosquée. Là, c’est le luxe ultime, on est accueillis dans un appartement, la femme de l’imam nous apporte une délicieuse soupe et surtout… on prend une vraie douche… chaude !! Décidément, quelle incroyable journée !! On repart requinqués avec une belle rose au guidon offerte par la femme de l’imam.
On reprend la route direction le “Tuz Gölü”, le lac salé qu’on attend depuis plusieurs jours ! On espérait le traverser mais manque de bol, la route est inondée… La route alternative est une autoroute sur 60km, on choisit l’option taxi ! Le lac est rose, ça nous rappelle la Bolivie, c’est superbe ! Vu la vitesse à laquelle on roule sous l’orage et la pluie battante, on se demande s’il n’aurait finalement pas été plus sécurisé de rouler nous même le lendemain… 😉 On finit par arriver sains et sauf à la grande ville suivante où l’on prend un hôtel.
Le lendemain, l’orage nous surprend le midi (ça change !), on a du bol, on est dans un village alors qu’on a roulé dans les champs toute la matinée. Il n’y a pas de restau et l’épicerie était quasi vide, heureusement on a toujours des trucs qui trainent au fond des sacoches :
L’aprèm, notre roue libre arrière râle, on s’arrête un petit moment chez un paysan pour la réparer. Elle a l’air de tenir… jusqu’au lendemain où clairement, il y a un problème. L’axe de notre roue arrière est cassé (on vous racontera les détails techniques une prochaine fois), on prend un taxi pour faire les 25kms qui nous séparent de Nevsehir, une grosse ville de Cappadoce. On s’en sort pas si mal d’avoir une (grosse) casse maintenant, on avait prévu de se poser plusieurs jours en Cappadoce (mine de rien ça fait 3 mois qu’on roule !).
J’ai été bavarde aujourd’hui, j’espère que vous serez allé.e.s jusqu’au bout ! 🙂 J’ai un peu changé le format en ajoutant des courtes vidéos au cours de l’article, je suis preneuse de vos retours. Et encore merci pour vos commentaires, ça nous fait super plaisir à chaque fois !! Et pour ceux qui nous lisent sans oser écrire, vraiment n’hésitez pas ! 🙂
A bientôt pour la suite ! (et ce n’est pas que je fais durer le suspense, à l’heure où je vous écris, je ne sais pas quand/comment on pourra repartir, mais… on a de bons espoirs !)
Stéphanie
PS : depuis que j’ai écrit cet article, bonne nouvelle, on devrait pouvoir repartir ! 😀